Le Furet
Ce petit ruisseau descend vers Saint Etienne et mérite son nom !
Nous allons nous intéresser cette semaine au Furet auquel des circonstances farfelues m’ont conduit. Certains vont se demander en quoi le petit animal qui « est passé par ici et repassera par là » peut inspirer une chronique de climatologie, mais le Furet est un petit ruisseau qui se camouffle dans une vallée encaissée au pied du versant nord du Pilat et se jette dans le Furan à l’entrée de la ville de Saint Etienne.
Ce Furet mérite bien son nom. Il faut déjà faire des efforts pour le voir en amont au milieu des friches industrielles dans une vallée où l’on accède par une rue étroite en prenant une bretelle d’autoroute à contresens. En aval, il est caché dans une couverture sous l’autoroute, en réalité la RN 88, entre le pont sous la N82 qui monte au col de la République et l’entrée du Tunnel du Rond Point, où il effectue à proximité sa confluence avec le Furan.
Ce Furet présente un petit bassin versant de l’ordre de 7 km2 qui se blottit selon un tracé grossièrement parallèle au cours d’eau furieux dans lequel il se jette. N’oublions pas que le Furan (avec un a), s’est aussi appelé autrefois le Furens ( ens), en référence à son caractère de torrent furieux qu’il est souvent.
Cette énorme différence entre un Furan dangereux et un Furet discret est particulièrement sensible quand on analyse les inondations provoquées par les deux cours d’eaux.
L’histoire regorge de débordements du Furan dans les rues de Saint-Etienne. L’ouvrage de Maurice Champion sur les inondations en France du VI ème au XIX ème siècle en signale 7 qui ont envahi les rues de la ville de 1834 à 1854. Celle de Juillet 1849 est sans contestation possible la plus grave avec 11 morts, des écroulements de maison, l’envahissement de l’Eglise de Valbenoite jusqu’au dessus du maître Hôtel. L’ouvrage ne mentionne aucunement le Furet.
Plus récemment, quand j’ai recensé les sites inondables de l’agglomération, pour une étude collective sur les problèmes de l’air et de l’eau à Saint Etienne et à Lille pour un rapport pour le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, j’ai constaté une vingtaine de sites effectivement inondés, parfois à plusieurs reprises, sur le bassin du Furan, dont 3 à l’entrée de Saint Etienne à proximité de la confluence avec le Furet, mais aucun sur ce dernier petit cours d’eau. Il monte fortement au moment des très grosses précipitations mais ne semble pas connaître les impacts de son furieux voisin.
Cette constatation a de quoi surprendre, mais elle peut être expliquée par une analyse géographique rationnelle.
Les grosses précipitations dangereuses ont deux origines sur l’agglomération stéphanoise. La première correspond au débordement par-dessus le Pilat, des pluies cévenoles en provenance de l’autre versant méditerranéen. Le Furan qui nait sur les zones sommitales de ce relief est concerné pleinement par leur forte pluviométrie alors que le Furet, qui apparaît à mi-pente du versant à l’abri, reçoit des totaux pluviométriques plus faibles, même quand le débordement de ce type de pluies est massif comme les 1er et 2 décembre 2003 ou le 1er novembre 2008.
Le second type de calamité correspond aux gros orages de sud-ouest qui longent le versant septentrional du Pilat avec la même orientation. On ne compte plus les très gros abats localisés sur quelques kilomètres carrés qui ont provoqué des dégats substantiels sur l’agglomération stéphanoise. Les bassins du Furan et de son petit affluent le Furet recoupent perpendiculairement cet axe orageux sur une partie très étroite de leurs bassins versants. Probablement la raison pour laquelle ils sont peut être moins sensibles à ce type de calamité qui a fait tant de dégâts au Chambon-Feugerolles voisin avec la petite rivière du Cotatay frappée à 20 ans d’intervalle par deux débordements calamiteux en mai 1987 et en Juin 2007. Ce type d’abat pluvieux localisé intense présente cependant une localisation tellement imprévisible que nul n’est à l’abri de telles calamités, même si l’analyse historique permet de constater la plus grande sensibilité de tel ou tel site à ces problèmes.
Ces derniers mois, j’ai eu la surprise d’être contacté par une association, puis le comité de quartier correspondant de la ville, alarmés pour certains, perplexes pour d’autres, des projets qui concernaient leur petite vallée du Furet.
A la suite d’une étude de la SOGREAH, un plan de protection des risques naturels, a été pris sur la ville de Saint-Etienne en 2005 avec détermination des zones inondables, ce qui vaut contrainte légale en particulier pour les permis de construire ou les aménagements à venir. Des projets de constructions de barrages pour protéger des crues ont été proposés puis précisés par une étude ultérieure effectuée par un autre bureau, la SAFEGE.
J’avais déjà été surpris en 2005, au moment de l’enquête d’utilité publique, par ce qu’ont découvert plus récemment les riverains de ce petit cours d’eau, soit une zone rouge inondable extrêmement large tout au long de la vallée, jusqu’à 70 mètres par endroit, et en amont un projet de barrage de 115000 m3 pour retenir les crues, avec en prime un scénario apocalyptique dans le secteur où la rivière est couverte sous l’autoroute.
Au-delà du cas particulier, ce qui m’interroge, est de comprendre pourquoi il peut y avoir un tel décalage sur ce seul cours d’eau entre les leçons de l’histoire et de la géographie des crues d’une part et les décisions administratives et projets d’ouvrages à la suite d’études d’hydrauliques d’autre part. Sur les autres sites de l’agglomération, les projets correspondent à des secteurs qui dans le passé ont connu des problèmes avérés.
L’analyse du scénario d’inondation évoqué au niveau de l’autoroute dans le quartier de la Rivière est intéressante. Les situations à risques mentionnées, cuvettes sous un pont avec contrepente vers l’aval, ruissellement en provenance des versants, changements de calibres de la couverture de la rivière, ont déterminé de graves inondations en d’autres lieux de l’agglomération : par exemple, le 2 novembre 2008 dans la vallée du Gier à Givors ou Rive de Gier, en Juin 2007 sur l’autoroute A72 au pied de Montreynaud. Sur le site concerné, il n’y a encore aucun cas connu.
Sur ce petit cours d’eau, il n’existe pas de poste de mesure des précipitations, le ruisseau n’est pas équipé d’appareils de mesure des débits. Toutes les études reposent donc sur des estimations effectuées avec des formules mathématiques utilisées quand il n’y a pas d’autres moyens disponibles, à partir de données de pluviométrie ou de débits prises sur des bassins versants voisins. Dans une région comme le massif du Pilat, qui correspond à une limite climatique majeure en France, les conditions sont très différentes d’un versant à l’autre du massif, des régions sommitales aux zones plus basses.
Nous sommes dans un monde qui privilégie les modèles, les calculs mathématiques, les probabilités sophistiquées, dans beaucoup de domaines. Ces derniers ne présentent pas toujours le degré d’infaillibilité souhaité quand ils ne prennent pas en compte suffisamment les leçons de l’histoire et de la géographie.
Je suis flatté d’être consulté, même après coup et bénévolement, sur des problèmes sur lesquels il me suffit d’adapter mes publications anciennes. Je constate que c’est la troisième fois que le dossier « Furan » m’arrive après 1997 et 2005. J’accepterai toujours de répondre sur des questions que j’estime connaître, mais n’aurait-il pas été judicieux d’intégrer officiellement auparavant le modeste spécialiste local dont les travaux sont connus!
Gérard Staron vous donne rendez vous samedi prochain pour une nouvelle chronique de climatologie sur les ondes ou le site internet de Radio Espérance à 13 h 15, le texte étant repris sur les portails internet zoom42 et zoom43.fr et ce blog.
. Bonne semaine à tous. Le Furet à l'entrée de Saint-Etienne