Chronique N°942
Pendant cette première moitié de septembre les événements météorologiques qui font habituellement la une de l’actualité sont rares, pourtant au moins un fait est passé presque inaperçu cette semaine : le retour de la neige sur les Alpes au-dessus de 2000 à 2500 m. La station de Santis dans les Préalpes suisses a reçu mercredi 11 septembre une chute de 2 cm qui a tenu au sol ! Jeudi 12, 8 nouveaux centimètres se sont ajoutés, pour une épaisseur du manteau de 10 cm au total. Vous avez tous ressenti mercredi le net refroidissement du temps. Chez nous il était incapable de tels excès mais dès la veille tous les postes des Alpes suisses au-dessus de 1700 m ont connu une gelée sous abri et mercredi ceux au-dessus de 2000m une journée sans dégel. L’association de ces basses températures avec l’arrivée d’une perturbation de nord en provenance des régions arctiques suivant un couloir de la mer de Norvège au golfe de Gènes a fait le reste.
Ce premier retour du manteau blanc sur les Alpes n’a rien d’anormal puisque depuis 1987 à Santis, 15 années ont connu la première chute à une date plus précoce, dont 9 à la fin du mois d’août et 11 années ont vu cette arrivée à une date plus tardive. Le retour le plus précoce se situe un 6 août en 2010 et certaines années le manteau ne revient pas avant le mois d’octobre comme en 2005 et surtout en 1997 : rien avant le 11 octobre.
Ce premier épisode ne dure le plus souvent que quelques jours. Il y a toujours une interruption avant l’établissement du manteau définitif qui tiendra toute la saison froide. Cette année, avec déjà 3 jours de durée, nul ne sait sa ténacité des jours prochains mais avec seulement 10 cm cette couche aura besoin de renforts pour continuer sa présence au sol. Depuis 1987, j’ai décompte 9 années où cette première séquence a duré 3 jours ou moins. Seulement 3 fois en 1989, 2002, et surtout 1998, 10 jours ont été dépassés. Il est curieux de constater comme la répartition de la durée statistique de cette première séquence se décompose en deux ensembles, celui de moins de 3 jours et celui de plus de 5 jours.
Cette première couche est parfois épaisse avec 20 années sur 26 depuis 1987 avec plus de 20 centimètres et même 115 cm le 1er septembre 1995. C’est pour cette raison que l’on peut être pessimiste sur la durée de la couche actuelle si elle ne se renforce pas !
Autre particularité de la reprise d’arrière-saison, l’interruption entre la première et la seconde séquence neigeuse peut être très longue. 5 années, elle a duré plus de 18 jours , plus d’une année sur deux elle dépasse une semaine. Dans ces cas le sol a le temps de se réchauffer et le refroidissement lié à la première couche de neige est inutile pour faciliter la tenue au sol de la deuxième. C’est un autre élément de la fragilité de la première neige.
Si nous connaissons un retour de la neige en haute montagne à une date normale en 2013, il en avait été de même de son départ au début de l’été. A la même station de Santis, le sol a été découvert le 1er août 2013. Le manteau blanc avait joué les prolongations puisque pour 20 années depuis 1987, le sol avait cessé d’être recouvert avant la fin juillet et seulement 6 avaient prolongé en août. La date médiane de fin du manteau étant le 23 juillet. Ces dernières années la disparition avait tendance à être plus précoce avec les deux seules terminaisons en juin en 2011 et 2003 et il faut remonter à 2004 pour retrouver une fin du manteau en août et à 1987 pour une disparition le 29 août et une reprise un jour le 27 septembre puis 3 jours du 9 au 11 octobre. Il y a des années en retard !
Contrairement à la reprise de la neige d’arrière-saison, souvent provisoire et fragile, la fin de l’enneigement entre fin juin et août correspond à la fusion lente de la couche mise en place au cours de l’hiver, qui connait souvent son épaisseur maximale en avril et parfois en mai et qui diminue ensuite de jours en jours. Très rares sont les années où cette couche en fusion terminale reçoit un renfort en juillet. Je ne vois qu’un seul exemple en 2008 où des chutes de 12 cm le 14 juillet et de 3 cm le 22 avaient permis la prolongation jusqu’au 31 juillet. Contrairement à l’arrière-saison où la neige arrive par petites séquences successives interrompues de quelques jours, la fin au début de l’été est toujours nette et claire. Ceci résulte de la nature de la neige totalement différente. Au début de l’été, il s’agit de couches anciennes, tassées, dures, qui tiennent depuis plusieurs mois et résistent à la fusion alors qu’à l’automne il s’agit de couches récentes qui n’ont pas eu le temps de se refroidir ou de se tasser et qui sont d’autant plus sensible au premier redoux.
Avec une fin assez tardive de début d’été et une reprise normale d’arrière-saison, 2013 est à placer parmi les années où l’écart entre la dernière neige de l’hiver précédent et la première de la saison froide qui suit est l’un des plus courts. Cet écart entre les deux est de 40 jours en 2013 alors que depuis 1987, une année sur deux, il a atteint 45 jours et que deux années sur trois il a été supérieur à la valeur de 2013. Cette durée sans neige courte en 2013 entre la dernière couverture du début d’été et la première de l’arrière-saison est une excellente nouvelle pour la pérennité des glaciers alpins, la neige étant leur principale alimentation à haute altitude.
L’analyse des années depuis 1987 montre que les années où cet écart a été le plus faible avec 19 jours en 1988 et 2000 sont celles où le manteau de l’hiver précédent avait tenu jusqu’au 15 août. Au contraire les années où cette durée sans neige est la plus longue correspondent à celles où le manteau de l’hiver précédent a disparu avant le 10 juillet. Il en est ainsi de 2006 et 2002 où il y a 80 jours de sol découvert en été. Les deux années qui stoppent leur enneigement en juin doivent attendre plus de 65 jours pour le retrouver. Les cas inverses sont très rares avec 2010 qui a connu une fin du manteau précédent début juillet et une reprise du suivant début août très précoces dans les deux cas. Cette situation de 2010 est probablement trompeuse car les jours de neige des 6 et 7 août sont très isolés et il faut attendre après plus de 20 jours pour un nouveau retour !
Cette petite étude semble montrer que le plus important pour le maintien de la neige à haute altitude sur les Alpes pendant la saison chaude ne correspond pas aux conditions de reprise du manteau à l’arrière-saison mais à sa résistance au début de l’été. Le démarrage du manteau nival de fin août au début octobre est souvent hésitant fragile. Il s’agit de séquences courtes, espacées dans le temps, incapables de se maintenir longtemps avec une suite de retours et de fusion.
Au contraire la ténacité du manteau à la fin du printemps est un phénomène solide qui dépend de l’importance des couches déposées pendant la saison froide et des conditions thermiques du printemps. Quand les deux facteurs se conjuguent comme en 2013, la neige subsiste longtemps au début de l’été, la durée de sol découvert est plus faible et les conditions de persistance des névés et glaciers renforcées. Quand les épaisseurs sont déficientes à la fin de l’hiver, que le printemps facilite la fusion, la neige disparait prématurément, et la résistance des névés et glaciers est fragilisée par une longue période de fusion.
Cette dernière situation avait tendance à se produire plus souvent depuis le début des années 2000, 2013 a mis fin à cette série, un signe qui s’ajoute à d’autres : un mauvais printemps, un été frais en juin et août, une meilleure tenue de la banquise, etc. Ne pas voir ces signes, ne serait-il pas un certain aveuglement face aux réalités ?
Gérard Staron vous donne rendez-vous samedi sur radio espérance, bonne semaine