Chronique N°986
Le vote par l’assemblée nationale de la nouvelle carte des régions ne peut pas laisser un géographe insensible et les modifications effectuées ont-elles gommé une partie des anomalies souvent signalées et en particulier celles strictement géographiques relevées lors de notre chronique N°979 : Découpage régional, la France n'aime pas ses fleuves, réminiscence féodale!, .
Nous avions alors constaté que la carte des régions françaises alors proposée était en grande partie une réminiscence des provinces d’ancien régime ou même des fiefs des grands seigneurs de l’époque féodale, or une région correspond dans les pays modernes à un espace organisé autour de l’influence d’une ville. Celle-ci, la métropole régionale assure une attraction par son poids économique et démographique et par la qualité de ses services.
Cette carte initiale donnait la portion congrue aux véritables ensembles urbains susceptibles de tenir ce rôle en France et de rivaliser avec leurs voisins européens comme Francfort, Turin, Bruxelles, Barcelone ou Gènes. Ces agglomérations sont peu nombreuses en France depuis les siècles où Paris centralise tout et pourtant c’est de leur dynamisme transmis à leur région que dépend en grande partie l’essor économique de notre pays. Ces villes, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Bordeaux et Nantes, la liste est close, restaient souvent dans le cadre de leurs régions d’origine dans le premier projet. Seul Strasbourg avait récupéré en plus de l’Alsace la Lorraine et Lyon ajouté l’Auvergne à Rhône-Alpes. Les corrections récentes ont contribué à mettre en valeur ces métropoles au lieu de les laisser à l’étroit dans leur région anciennes. L’adjonction de la Picardie au Nord autour de Lille, celle de Champagne-Ardennes avec l’Alsace et la lorraine contribue à faire un grand est avec Strasbourg et celle de Poitou Charente et du Limousin reconstitue une grande Aquitaine autour de Bordeaux qui ressemble aussi au Duché de Guyenne que possédait Aliénor d’Aquitaine avant ses mariages successifs avec Louis VII roi de France et Henri II Plantagenet roi d’Angleterre !
Reste à savoir si ces adjonctions s’inscrivent bien dans l’influence des métropoles qu’elles rejoignent et si ces regroupements par gros paquets de territoires existants à la hussarde ne pose pas de nouveaux problèmes.
L’adjonction de la Picardie au Nord est totalement logique pour le département de l’Aisne, assez logique pour celui de la Somme qui aurait pu aussi rejoindre la Normandie comme à l’époque de Guillaume le Conquérant et parfaitement critiquable pour l’Oise dont la partie sud est incluse dans la banlieue de Paris.
Que faire de Champagne Ardennes située sur l’axe Paris Strasbourg mais très éloigné de la capitale alsacienne excentrée et bien trop sous l’influence de Paris au point que la capitale a aspiré une grande partie des forces vives depuis la révolution française. Cette création d’un grand « Est » est peut-être la situation la moins pire au problème peu soluble de l’espace tampon de champagne Ardennes !
Bordeaux pourra enfin retrouver le lustre du grand port européen qui était le sien avant que la révolution puis l’Empire ne casse complètement son activité. Dans la région Charente Poitou, la partie Charente fait incontestablement partie de sa zone d’influence et avait vocation à rejoindre l’Aquitaine, par contre la partie Poitou au-delà du seuil regarde plus vers le Bassin parisien ou le fleuve Loire. De même dans le limousin, la Corrèze et la Haute Vienne regardent vers Bordeaux ce qui n’est pas le cas de la Creuse. Souvenez-vous de ses maçons qui montaient vers Paris !
Cette valorisation des véritables capitales régionales contribue à structurer le réseau urbain de ces régions en fournissant à la métropole des relais
Dans le Nord, Lille avec la grande conurbation du bassin houiller ou les ports éparpillés de la côte ne disposait pas de relais puissant et elle va en trouver un avec Amiens.
Dans le grand « Est », le réseau urbain sera aussi structuré par Metz Nancy et Reims qui pourront devenir les centres régionaux aux côtés de la capitale Strasbourg en bout de ligne.
Dans l’Aquitaine, Bordeaux ne disposait de relais que vers le sud avec Pau, le réseau urbain régional va s’équilibrer vers le Nord avec La Rochelle, Limoges et Poitiers même si cette dernière ville devrait logiquement plus regarder vers le bassin de la Loire !
De même dans la région centre-est autour de Lyon, le réseau urbain sera plus équilibré puisque Clermont Ferrand va ajouter son influence à l’ouest à celle de Saint-Etienne, face à Grenoble et aux villes savoyardes Chambery et Annecy à l’est .
On peut regretter que cette démarche de mise en valeur de nos capitales régionales susceptibles de concurrencer leurs homologues européennes n’ait pas été continué en rassemblant une grande région du Val de Loire autour de Nantes et en laissant orpheline une région Centre qui n’a pas de vraie capitale régionale entre Orléans trop sous l’influence de Paris, Bourges centrale mais au poids faible et Tours peu dynamique. Organiser une région autour de l’axe de dynamisme que pourrait représenter le fleuve Loire aurait pu être une première en France ! Pourquoi dans notre pays on ne construit pas le dynamisme économique autour des axes fluviaux comme chez nos voisins européens ! Il est vrai que l’on touche ici à l’épineux problème de Nantes qui est revendiqué de façon historique par la Bretagne dont elle a été la capitale de son duché mais qui a vocation à devenir une métropole de la Loire regroupant les anciennes régions Pays de Loire et Centre en se servant du fleuve pour instiller son influence. Ceci équilibrerait le réseau urbain de cet ensemble , Angers, Tours, Bourges, Orléans, le Mans devenant des relais au long du fleuve ou de ses affluents ! Les deux vocations de Nantes, historique et bretonne comme ligériennes et géographique sont légitimes, mais ne rejouons pas le film des visiteurs 1 ou 2 !
Le gros problème reste le sud au point que cette fusion Midi Pyrénées et Languedoc Roussillon ressemble à une provocation bizzare. Le seul moment où un conglomérat semblable a existé, se situe avant la croisade contre les Albigeois au début du 13ème siècle, au moment où le Comté de Toulouse devenu Cathare dépendait plus du Roi d’Aragon que de celui de France. Dans cette Croisade certains ne voient que l’aspect religieux, en ignorant celui politique qui a permis au Roi de France d’implanter son influence dans le sud et de repousser le Roi d’Aragon. La bataille la plus importante, celle de Muret, entre les croisés de Simon de Montfort venant du nord et les seigneurs d’Aragon du sud constitue une véritable victoire nationale française, fondatrice de notre pays dans le sud
Aujourd’hui l’analyse du réseau urbain de cette partie de la Méditerranée montre qu’il n’y a que deux capitales millionnaires possibles Marseille et Barcelone. Si le Languedoc avait été intégré à Provence Cote d’Azur , c’était confirmer un réseau urbain équilibré avec Marseille comme capitale relayée d’un côté par Montpellier et de l’autre par Nice. Rassembler Languedoc Roussillon et midi Pyrénées, c’est favoriser Barcelone au dépens de Marseille. En effet la nouvelle région n’aura pas de capitale claire, la différence entre Toulouse et Montpellier n’est pas évidente, ce qui créera un problème de leadership et en plus aucune des deux n’est de taille à faire face à la capitale multimillionnaire de la Catalogne si proche !
En plus ces deux région, séparés par la barrière de la montagne Noire aux Cévennes n’ont rien en commun, ni le climat, ni les paysages, ni les activités agricoles et touristiques, alors cette fusion de Midi-Pyrénées et du Languedoc-Roussillon , est-elle la revanche de la bataille de Muret ? Une reprise au XXIème siècle en sens inverse du conflit d’influence d’alors entre l’Aragon aujourd’hui catalogne et la France?
Gérard Staron vous donne rendez vous samedi prochain sur Radio Espérance … Bonne semaine