Chronique N° 913
La France est au bord de la crue généralisée. La Seine lave les pieds du zouave du pont de l’Alma et a atteint une cote de 3.91 m au pont d’Austerlitz. La Loire à Montjean est montée à 4.48 m. la Charente s’approche des 5 mètres à Saintes. La situation la plus inquiétante concerne l’Adour. Le pic de crue a atteint Saint Sever puis Dax Nous sommes encore très loin partout des grands débordements des fleuves, même sur l’Adour. Avec une cote de 2.2m à Saint Sever, le fleuve côtier est encore en dessous du niveau de décembre 1976 de 2.25 m et très loin de ceux de mars 1999 avec 3.35 m et de février 1952 avec 4.6m.
Pourtant cette crue assez moyenne ne saurait masquer le déluge que subit le versant septentrional des montagnes pyrénéo-cantabriques depuis octobre dernier et la crue du gave de Pau qui avait envahi la grotte de Massabielle à Lourdes.
Pendant les 4 mois et demi depuis octobre 2012, il est tombé plus d’un mètre d’eau sur le Pays basque autant français qu’espagnol avec 1267,8 mm à San Sébastian, 1132,9 mm à la Pointe de Socoa et 966,5 mm à Biarritz.
Plus on s’éloigne de ce point central, plus les précipitations baissent dans toutes les directions, vers les Asturies Bilbao a encore reçu 895 mm au pied de la Chaine cantabrique, vers les Pyrénées françaises le total baisse le long de la chaine d’ouest en est avec 769, 7mm à Pau, 691,3mm à Tarbes et 552 mm à Saint Girons. En direction des landes et de l’Aquitaine, la baisse est rapide avec 597 mm à Dax et 556 mm à Bordeaux. Quand on franchit les Pyrénées pour passer sur le versant ibérique, on trouve 586 mm à Vitoria en arrière de la zone la plus arrosée, mais les cumuls s’effondrent ensuite autant dans le bassin de l’Ebre qu’en Castille.
De mois en mois ces précipitations se sont renforcées. En janvier 2013, elles dépassent 300 mm au pays basque et les Asturies avec 385 mm à San Sébastian et plus de 200 mm sur le Piémont Pyrénéen jusqu’au centre du massif. Pendant les 13 premiers jours de février, on dépasse déjà 200 mm du Côté espagnol et plus de 100 mm jusqu’aux Pyrénées ariégeoises ! Les intensités ont été les plus fortes vers le 10 février avec 79 mm en 48 heures à Pau.
Une telle pluviométrie est exceptionnelle par sa longévité. La région est déjà célèbre pour la pluie puisque l’on trouve dans l’opérette « Fandango du Pays basque » un air sur ce thème, mais sur l’ensemble de ces 4 mois et demi, on dépasse déjà à Pau une fois et demi le total moyen d’octobre à février soit sur les 5 mois entiers. La proportion est strictement identique à la pointe de Socoa, mais aussi à Bilbao dans les Asturies A Biarritz, le dépassement est de l’ordre du tiers, mais à San Sébastian il est de l’ordre de 70% (1267 mm contre une moyenne de 743 mm pour les 5 mois).
Au niveau des précipitations mensuelles extrêmes, à la pointe de Socoa, le record mensuel de précipitations de la série 1951-1980 a été battu en janvier 339.9 mm en 2013 contre 329.3 mm en janvier 1979. En février 2013, il est presque atteint en 13 jours, puisqu’il est déjà tombé 163.2 mm, alors que pour le mois entier le record est détenu par février 1978 avec 200.9 mm , il suffit qu’il tombe 37 mm en 15 jours pour qu’il soit battu !
Le caractère exceptionnel est pire du côté espagnol. A Bilbao, le record mensuel de précipitations de Janvier a été pulvérisé pour la période 1968 2013 avec 303.3 mm contre 272 mm en janvier 1979 et en 13 jours avec 227,5 mm 2013 a presque atteint celui de février de 236 mm pour le mois entier en 1986. A Vitoria le record de février a été battu en 13 jours avec 161 mm contre 160 mm pour le mois entier de février 1954 et ceci pour une série depuis 1943 ! A San Sébastian les 391.5 mm de janvier 1979 sont restées dans les tablettes d’extrême justesse avec 385,5 mm en 2013.
Les précipitations de cette face septentrionale de la chaine Pyrénéo cantabriques sont donc exceptionnelles ; l’ampleur du phénomène est d’autant plus remarquable qu’il ne s’agit pas d’un seul mois mais de 5 depuis octobre avec une accentuation sur les deux derniers, janvier et février.
Les crues des rivières sont relativement modestes et n’affectent que la partie aval des bassins versants car la plus grande partie de l’eau a été retenue sous forme de neige à partir de moyenne altitude. Il a été annoncé de façon très imprudente par la chaine météo un record du monde d’enneigement à Cauterets avec 5.50 m, en effet sans aller très loin, le record homologué par nos voisins suisses est de 8,16 m à Santis à 2502 m d’altitude en avril 1999, Il est d’ailleurs très peu probable que cette valeur soit un record du monde car du côté des Chaines côtières de la Colombie britannique au Canada, il est fort probable qu’il y ait mieux. Il n’en reste pas moins que l’enneigement actuel des Pyrénées est exceptionnel. Les 4.5m de Luz Ardiden constituent un record depuis 1996 et les 3.60 m de la Mongie, de même depuis 1986. Plus à l’est il y a même 3.40 m à Ax les Thermes !
Il est plus que probable que cet enneigement remarquable a évité de très grosses inondations des cours d’eau en aval des Pyrénées. Une grande partie de l’eau retenue sous forme solide n’a pas pu ruisseler comme lors des inondations des 19 au 22 octobre 2012 autant du côté français sur le gave de Pau , que du côté espagnol sur le Rio Aragon avec seulement 150 mm. La fusion de cet énorme manteau, lente par nature, se fera par tranche d’altitude. Si de nouvelles précipitations intenses ne viennent pas à ce moment-là, la neige aura probablement évité une catastrophe !
Reste une dernière question qu’est-ce qui explique cette accumulation de précipitations et de neige contre le versant septentrional de la chaine Pyrénéo-cantabrique ?
Ce versant a un climat océanique avec des pluies qui résultent du passage des perturbations. Quand ces dernières viennent de l’ouest, elles longent la chaine d’orientation ouest-est. Quand elles proviennent du nord-ouest ou encore plus de nord, elles butent de plein fouet contre ce versant au fond du golfe de Gascogne et déposent alors des quantités importantes de précipitations bien alimentées en humidité sur l’océan.
C’est ce qui s’est produit depuis la mi-janvier. L’anticyclone des Açores est remonté sur le centre de l’Atlantique au-delà du 45° degré de latitude. Les perturbations ont donc pris une orientation méridienne. Cette dernière a été renforcée par la présence de l’air froid continental sur la plaine d’Allemagne du nord et au-delà avec la présence d’un anticyclone russo-sibérien. Les perturbations n’ont pas pu de ce fait continuer leur route sur le continent Européen et elles ont été rabattues sur la Chaine des Asturies aux Pyrénées centrales. La présence d’une dépression dans le golfe de Gènes a en plus contribué à attirer ces précipitations jusqu’en Méditerranée le long de la montagne Pyrénéennes. De ce fait elles ont atteint la partie ariégeoise du massif.
Cette situation météorologique s’est maintenue, à l’exception de quelques jours à la fin du mois, du 10 janvier jusqu’au 13 février. Jour après jour cette partie du massif a été pilonnée quotidiennement par des quantités de pluies ou de neige en altitude. Les intensités sur 24 heures sont rarement importantes, je n’ai trouvé que de 54 mm le 10 février à San Sébastian, mais la répétition chaque jour d’apports substantiels de neige en montagne et de pluies en plaine a provoqué ces quantités exceptionnelles de précipitations. Il en sera ainsi tant que la situation atmosphérique ne changera pas radicalement !
Gérard Staron vous donne rendez-vous samedi prochain sur les ondes de radio Espérance, bonne semaine …..