Chronique N°728
Congères, glaciers et neiges éternelles sur le Massif central
Cette semaine, les questions posées par Olivier que je remercie, dans un commentaire parvenu sur mon blog, après un article sur la fin de l’enneigement sur le Massif du Mézenc est à l’origine de cette chronique.
Mon interlocuteur m’a signalé que des masses neigeuses atteignant parfois 2 mètres subsistaient encore sur le Massif du Mézenc. Cette observation m’incite à distinguer deux notions très différentes.
L’enneigement doit recouvrir au minimum la moitié du sol et il semble s’être terminé le samedi 16 mai sur le Mézenc après 176 jours de présence continue depuis le 22 novembre ce qui pourrait constituer un record absolu de durée, puisque pour les sondages de neige autrefois pratiqués à la ferme du Mézenc à 1535 mètres, la plus longue durée ne dépassait pas 170 jours en 1964-65. Ces mesures ont toutefois été effectuées pendant seulement une quinzaine d’années. Elles sont stoppées depuis les années soixante dix. Leur caractère hebdomadaire limite leur précision pour établir une durée en jour de l’enneigement.
Ce qui résiste actuellement d’un hiver exceptionnel, semble correspondre à des congères sur un massif particulièrement exposé au remaniement du manteau nival par le vent en raison de la situation géographique. Ces reliefs des Boutières et du Mézenc accumulent plusieurs facteurs qui stimulent la formation de congères, mis en évidence dans ma thèse « L’hiver dans le massif central » par le biais d’un « indice d’importance des congères ». Cette montagne est balayée par des vents exacerbés et canalisés entre les couloirs méridiens de la Loire et du Rhône. Le relief de plateaux stimule l’impact du vent sur le paysage et lui permet de modeler la topographie du manteau blanc en hiver. Enfin la neige peut arriver massivement par les grosses chutes méditerranéennes et ensuite être remaniée alternativement par les vents de nord et de sud qui alternent régulièrement avec force. Les grands hivers ajoutent toujours leur lot de voyageurs, parfois même d’habitants, perdus et piégés dans ce paysage qu’ils ne reconnaissent plus et qui laissent la vie dans la neige parfois très près des habitations. Autrefois c’était l’histoire de la fameuse auberge de Peyrebeille, cette année, il s’agit de la disparition dramatique de Tarentaise. Au printemps, ces congères sont les derniers témoins de l’action du vent et de la neige à disparaître, mais on ne peut plus considérer qu’il s’agit d’un véritable manteau neigeux. Les très fortes chutes de neige lourdes tombées à la mi décembre, puis les renforts tombés en février ont eu tout le temps de voir leur matériaux banc remaniés par le vent lors d’un hiver où les souffles violents de nord comme de sud n’ont pas manqué.
Olivier m’interroge sur la possibilité de neiges éternelles et de glaciers dans le passé ?
Sur les reliefs du massif central on a pu observer dans les années soixante des plaques neigeuses qui résistent jusqu’au début de l’été, ou des chutes qui ne tiennent que quelques heures en Juillet. J’ai souvenir d’avoir vu des lignes blanches sur le sommet du Sancy au début juillet dans mon enfance. Des chutes de neige ont été observées à la ferme du Mézenc au cours du mois de juillet : le 18 juillet 1966 et le 15 juillet 1971. En aucun cas ceci ne peut être considéré comme des neiges éternelles. Sur le Massif central les observations connues des époques aux hivers renommées plus rudes que les actuels, n’attestent pas une durée du manteau nival supérieure à 170 ou 180 jours dans le cas des années les plus extrêmes.
Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu des neiges éternelles à l’époque des glaciations du Riss et surtout du Wurm, dont les traces ont été analysées par plusieurs auteurs, Bernard Etlicher sur les massifs du Forez, du Pilat et du Vivarais, Bernard Valadas pour l’ensemble des Hautes terres du Massif central, Yvette Veyret pour les formes glaciaires et Max Derruau à une période plus ancienne.
En fonction des traces laissées sur les reliefs, Il semblerait, selon les conclusions de Bernard Etlicher, que l’altitude des neiges éternelles seraient descendue au plus bas à 1300 mètres dans les monts du Forez, et à 1350 mètres dans le Pilat. L’altitude de l’isotherme 0° du mois de Juillet se serait situé aux alentours de 1300 mètres d’altitude sur le massif du Pilat, ce qui correspondrait à des températures inférieures de l’ordre de 13° aux moyennes actuelles à l’époque du maximum des glaciations. Le mois de juillet présente aujourd’hui des moyennes de l’ordre de 18 à 19 ° à Saint Etienne. Il n’aurait pas fait plus de 5 à 6° à l’époque du Wurm.
Les glaciers ont existé sur les principaux hauts reliefs du Massif central. La présence de vallées glaciaires est attestée sur les deux principaux massifs volcaniques qui dépassent aujourd’hui 1800 mètres, soit le Sancy et le Cantal. Les hautes vallées de l’Allagnon descendant du massif du Cantal ou celle de la Dordogne en provenance du Sancy présentent une forme en auge typique des sillons laissés par les anciens écoulements glaciaires. Il s’agit de vallées aux versants concaves très raides et au fond plat.
Sur le haut Forez, les anciens glaciers sont déjà plus limités en longueur et en nombre et leurs traces ont été découvertes plus récemment. Ils sont situés sur le haut de la retombée forézienne entre le col des Supeyres et celui du Beal avec une plus grande extension au niveau de Pierre sur Haute . Sur le haut du versant Rhodanien du Mézenc, un seul glacier est signalé en direction de la retombée orientale. Les anciennes vallées glaciaires sont beaucoup plus discrètes.
Les altitudes limitées ainsi que la position méridionale de la partie orientale du Massif central expliquent que la plupart des formes laissées par les périodes glaciaires sont limitées aux hautes altitudes . Elles se bornent à des cirques incapables de développer des langues glaciaires vers l’aval, à des névés, ou à de simples niches de nivation dont la taille est encore plus réduite. Seules les parties les plus élevées sont concernées au dessus de 1100 à 1200 mètres. Il s’agit d’amphithéâtres circulaires aux versant particulièrement raides à l’amont, descendant vers des zones marécageuses au centre d’une dépression, avec souvent une tourbière. Après une légère contrepente à l’aval de l’ensemble, une vallée classique s’encaisse ensuite et sort alors du secteur géographique concerné par les formes glaciaires.
Comme vous pouvez le constater la plus grande partie de ces formes glaciaires ou nivales sont situées sur les faces orientales des différents massifs. Cette dernière situation concerne plus de 2/3 des cas avec une légère différence qui tient à la direction des vents. Sur le Haut forez il s’agit plus des versants est et nord-est alors que sur les massifs orientaux des Cévennes au Pilat il s’agit plus du sud-est comme les quelques cirques et formes nivales situées sur le haut du versant oriental, du Crêt de l’Oeillon à la Croix de Chaussitre sur le Pilat. Sur le flanc du Pyfara au Grand Felletin, ils dominent le haut de la vallée de la Vocance, sur celui du Mézenc au Gerbier de Jonc, ils affectent le début du versant rhodanien.
L’explication est simple. La neige déposée sur les sommets par les perturbations est remaniée par les vents qui balayent les plateaux et elle s’accumule sur l’autre versant. Ces vents dominants ne sont pas toujours les mêmes. D’ouest sur le haut Forez, on retrouve les formes glaciaires au début du versant forézien. Plutôt de nord-ouest du Mézenc au Pilat, on rencontre anciens névés et niches de nivation sur le versant rhodanien.
Toutefois la plus grande partie des formes laissées par les périodes froides sur le Massif central ne sont pas de type glaciaire mais périglaciaire. Elles résultent de l’action du froid sur les roches à une époque particulièrement marquée par le gel et l’alternance gel dégel. C’est ainsi que se sont créés des chaos de blocs qui constituent les fameux chirats sur les gneiss du Pilat, de véritables cascades de roches, mais aussi les éboulis dans la phonolithe des sommets du Lisieux, du Meygal et du Mézenc. Ces coulées de roches, héritées de la dernière période glaciaire, le Wurm, sont maintenant de plus en plus colonisées et masquées par une végétation naine puis par les tentatives des services forestiers pour les conquérir.
Gérard Staron vous donne rendez vous samedi prochain sur les ondes ou le site de Radio Espérance 13h15, le texte étant repris sur zoom42.fr et ce. blog.