La préoccupation du moment concerne la hausse des prix agricoles et leurs conséquences dans les pays les moins avancés par leurs développement avec les émeutes dites de la faim. Le problème a des implications climatiques, mais l’enseignant que j’étais encore l’an dernier en classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs agronomes est stupéfait des explications médiatiques entendues.
La clef du problème concerne l’évolution du prix du blé, la céréale de référence. Pour comprendre analysons le cours de la tonne de blé tendre au port de Rouen. En 1983, elle vaut l’équivalent de 250 euros. A la suite d’une baisse constante, le cours descend à 115 euros en juillet 2006. Il monte à 285 euros en septembre 2007 et ensuite il reste sur un palier haut (le 11 avril 2008 : 236 euros au marché à terme de Paris)
Comme souvent, lors des crises antérieures, les matières premières agricoles réagissent ensemble, comme en 1975. Les autres céréales, dont le riz, les cultures de plantation, cacao, café, sucre ont monté. Le lait et le beurre aussi mais ils baissent à nouveau depuis octobre 2007.
De tels mouvements brutaux ne sont pas rares, car il est très difficile de contrôler les prix agricoles. En effet la multitude des producteurs, la dépendance des conditions climatiques, ne permettent pas de maîtriser l’offre comme pour un produit industriel. Par ailleurs, en raison de la loi de King, le moindre déséquilibre sur le marché provoque des écarts démesurés de prix.
Les conditions climatiques sont toujours le facteur déclenchant de ces grosses variations. Autrefois, sous l’ancien régime, les mauvaises récoltes liées aux hivers très froids, aux sécheresses ou périodes humides provoquaient, en plus de la hausse des prix, de fortes famines, épidémies et une surmortalité ce qui n’est heureusement plus le cas dans les pays développés depuis la moitié du XIX ème siècle.
En 2007, le facteur déclenchant a été effectivement des mauvaises récoltes liées aux conditions climatiques. Il est de bon ton actuellement d’accuser le réchauffement de la planète, pourtant les causes sont multiples et contradictoires selon les régions du globe.
- des sécheresses en Australie gros producteur mondial et aussi dans les pays du Maghreb
- des cyclones en particulier au Bengladesh pour le riz
- mais aussi l’été pourri et frais qui a gêné la récolte en Europe et en particulier en France avec une baisse des rendements de plus de 5qx par ha autant pour le blé tendre, l’orge, le seigle et l’avoine avec une production qui baisse de 10% environ par rapport à 2006. Voilà des raisons climatiques dérangeantes.
On entend un discours aussi surprenant que pessimiste, même malthusien sur la possibilité de la planète à nourrir la population mondiale.
C’est oublier que le monde sort d’une très longue période de surproduction agricole qui n’a cessé de se développer depuis la crise de 29 aux Etats-Unis où la mévente du blé avait provoqué l’effondrement des cours. Depuis la tendance à la surproduction et à la baisse associée des cours pendant de très longues années, a été la hantise des agriculteurs et de leurs gouvernants. Les moyens les plus courants pour faire face à cette situation ont été la mise en place de quotas d’efficacité variable. Plus souvent, les états ont imposés des limitations de surface cultivée en échange de subventions pour compenser la faiblesse des prix agricoles. Les Etats-Unis ont commencé par l’A.A.A. (Agricultural Adjustment Act) depuis 1933. Dans les années 80, l’Europe était noyée sous les excédents de lait, de blé, de viande et autres. Elle a dû mettre en place les quotas laitiers et faire la réforme Mac Shariff depuis 1992 en imposant des jachères aux céréaliers. Pour le café et le cacao, les prix se sont longtemps écroulés au point de ne plus permettre l’entretien des plantations. La création du commerce équitable est un moyen de faire face à ces cours très bas pour les petits planteurs. Les principaux producteurs de céréales disposent de réserves notoires de surface cultivables. Par exemple, l’Union Européenne a autorisé immédiatement la mise en culture des jachères.
Le moyen principal d’augmentation de la production agricole a été, depuis le début de la révolution industrielle, la hausse des rendements en utilisant, les engrais, l’amélioration des semences, l’irrigation, la mécanisation, les traitements des cultures, la sélection génétique et l’alimentation pour l’élevage, en rendant l’agriculture intensive. Or depuis les années 90, les mouvements de défense de l’environnement, les milieux écologistes, s’attaquent brutalement à cette agriculture intensive. L’irrigation ferait baisser les nappes. Les engrais et le lisier de l’élevage intensif enverraient des nitrates dans les nappes. Les herbicides et les pesticides seraient des poisons. Le refus des O.G.M. et la publicité pour la culture bio procèdent de la même action. L’union Européenne ajoute les circulaires sur le bien être des animaux. Nous n’avons pas le temps d’apprécier ces aspects aujourd’hui, mais ces actions tentent à promouvoir un mode de production traditionnel extensif avec des rendements plus faibles. La très forte hostilité aux cultures destinées à produire des biocarburants procède de la même réflexion et fournit un bouc émissaire facile car dans ce cas les agriculteurs peuvent rechercher des rendements maximums puisqu’il n’ y a pas les mêmes contraintes que pour la nourriture humaine.
Cette lutte contre les crises de surproduction latente, les attaques contre les rendements de l’agriculture dite productiviste ne peuvent que freiner la hausse de la production agricole. Par ailleurs, le développement économique des pays émergents en Asie, la Chine, l’Inde comme en Amérique latine, le Brésil, l’Argentine et d’autres, augmente d’autant les besoins agricoles. Ils deviennent correctement nourris. Le tout devait conduire un jour à un renversement de tendance et à créer une pénurie artificielle dont le premier effet est une hausse spectaculaire des prix agricoles. Ceci s’est produit en 2007.
Heureusement de moins en moins de pays connaissent la sous-nutrition ou la malnutrition. Il s’agit surtout de l’Afrique orientale ou du Sahel, de quelques états d’Amérique centrale comme Haïti, et de rares pays d’Asie du sud-est. On trouve pour certains une cause climatique avec les sécheresses récurrentes du Sahel, mais la plupart de ces états connaissent des rebellions, des guerres civiles, des situations troublées qui déstabilisent leur agriculture vivrière. Il est bien évident que ces pays qui ont besoin d’importer des céréales en raison de leur faiblesse agricole et qui en plus sont insolvables, sont frappés de plein fouet par cette hausse brutale des prix et leur population affamée se révolte.
L’élevage intensif est aussi un accusé facile. Pour améliorer les rendements, l’alimentation du bétail consomme beaucoup de céréales et les animaux sont presque accusés de prendre leur nourriture dans la bouche des hommes. Ce cliché facile tient peu compte de la réalité, car les populations dont le régime alimentaire est à base de céréales sont celles qui souffrent de sous nutrition et ceci provoque la malnutrition car cette nourriture exclusive de céréales détermine des carences diverses. Dès qu’une population se nourrit correctement, elle baisse la part des céréales et diversifie son alimentation avec le développement des produits de l’élevage, des fruits et des légumes.
Le cadre limité d’une chronique rend cette étude trop sommaire pour un sujet d’ampleur mondiale. La prochaine récolte pourrait stopper la crise si le climat est bienveillant. Une chance est à saisir aussi pour les finances de la politique agricole commune et pour l’agriculture de la France dont l’excédent du solde commercial du secteur alimentaire enfle depuis le début 2008, il serait trop long de vous dire pourquoi !
Gérard Staron vous donne rendez vous samedi prochain sur les Ondes de Radio Espérance, vous trouverez ce texte sur zoom42.fr.
http://pagesperso-orange.fr/climatologie.staron